Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

L'Ethique, Spinoza

Cet impie.

Mais tandis qu’ils cherchaient à montrer que la Nature ne fait rien en vain (c’est-à-dire rien qui ne soit pour l’usage des hommes), il semblent n’avoir montré rien d’autre sinon que la nature et les Dieux sont atteints du même délire que les hommes.

Décrire et d'écrire

Je lis l’ouvrage de Pierre Hadot sur Les Pensées de Marc Aurèle. L’empereur-philosophe. Ou le philosophe-empereur, s’embarrassant dans la conduite d’un Empire. Tout dépend du point de vue.

Voici la page 189 du livre. J’y ai trouvé une poétique : la lutte contre l’anthropomorphisme, le sentimentalisme, et l’affectation. Trois vices auxquels je suis porté. Une grande partie de mon travail consiste à me défier de chaque terme, surtout des adjectifs et des adverbes : autant de jugements induits, qui concluent comme disait Flaubert de la bêtise. Mal choisis, ils encrassent, empâtent.

Dans un texte, le but est de tenter d’atteindre l’illusion de la nudité, de la nécessité de chaque terme. Produire un corps, composé uniquement d’organes vitaux.

Les bons sentiments de Bolsonaro

Bolsonaro sera le nouveau Président du Brésil. Malgré son usage éhonté du mensonge, de la violence verbale, son mépris de l'intelligence, son indécence historique, et un amateurisme dont on commence à entrevoir l'ampleur.

D'autres l'ont fait avant lui, même ceux qu'on disait modérés. Mais aucun n'en a joué de façon aussi systématique que lui.

Voilà le Brésil face à lui-même. Ses démons, plus ou moins vieux.

Le programme de Bolsonaro, c'est le retour au stade pré-anal, voire foetal, une enfance de l'être où l'on frappe la première personne qui vous contrarie, où l'on chasse celui ou celle qui est différent de vous, où l'on insulte celui ou celle qui prononce un mot que vous comprenez seulement au bout de 3 secondes.

C'est la quête du confort absolu.

Bolsonaro a su parfaitement exploiter la situation catastrophique du Brésil et de la politique brésilienne, mais il a surtout su proposer de bons sentiments. La protection, le câlinage. Du moins pour son électorat.

Il faut le suivre sur Twitter, observer son compte Instagram, pour réaliser qu'il se pose en papa. Celui qui vous défendra, même si vous avez tort, même s'il a tort, pourvu que vous pensiez comme lui.

Il est le signe d'une époque qui sacrifie tout à son confort immédiat, même son futur. Un temps qui a peur, et qui refuse de dépasser ses appréhensions, par bêtise et lâcheté. C'est de la politique infantile et magique, à l'instar de tous les populismes. Un peu comme si un type vous disait de danser sur une autoroute en vous jurant qu'il ne vous arrivera rien, parce que lui l'a décidé ainsi.

Bolsonaro est le chaman du pauvre. Un barbare des bons sentiments, qui dispense de tout, sauf d'une jouissance piteuse, abrutissante et basse. Ce que certains appellent “le bonheur”.

NB : cet article a initialement été publié sur le blog Cecinestpasuncliché, que je tiens avec Custódio Rosa.

Lumières d'août, William Faulkner

Le génie de Faulkner est aussi introuvable et pénétrant que la vie. Il y a quelque chose d’inaccessible chez lui Chaque livre est un tour de force, unique, absolument neuf. Et cela roule, sans être toujours trop écrit. Si Proust avait su l’anglais, je pense qu’il aurait été incapable de le pasticher, comme il l’a fait avec d’autres. Chaque opus est orphelin.

La lingua ignota d'Hildegarde de Bingen

Empreints de noblesse, nos temps usent de la figure d’Hildegarde de Bingen pour vendre de la tisane et des livres de recettes. C’est l’une des causes principales de sa -relative- célébrité. Ce fut une mystique en lutte acharnée contre l’Eglise bureaucratique, visionnaire dès l’âge de trois ans. Sainte ou folle, comme tous les bienheureux, elle est aussi la créatrice d’une langue nouvelle, pouvant aussi faire office de code. Est-ce là matière à la prière, à la poésie ou aux messages cryptées ? Un espéranto du jardinage ? On n’en saura jamais rien. Voici deux pages sur la lingua ignota d’Hildegarde, prises au livre d’Audrey Fella, Hildegarde de Bingen. Corps et âme en Dieu.

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Le nuage d'inconnaissance

L'une des plus belles pages de ce traité mystique, écrit au XIVe siècle, par un anonyme anglais. La traduction du poète Armel Guerne y amène quelque chose d'humble, fervent et précieux. Le nuage d'inconnaissance, c'est l'énoncé d'un amour indicible et flou pour un Dieu perdu dans les brumes et les silences

Les jardins à la française et le ciel

J'aime désormais les jardins à la française. Je vieillis, peut-être. Auparavant, je n'y trouvais qu'une tentative vaine de faire des droites et des figures géométriques avec la nature. Une vacance du jardinier, et tout se délitait. C'était prétentieux, impermanent, futile. A l'image de la Cours de Louis XIV. A ce compte-là, autant se contenter d'un jardin sec, de sable et de caillou, pensais-je.

Je reviens de Chantilly. Et j'ai aimé ses jardins à la française, même s'ils sont, à mon sens, moins beaux que ceux de Versailles. Je crois que les impressions versaillaises ont sédimenté et que j'ai découvert à Chantilly un des secrets des jardins "à la" Le Nôtre, par une magnifique journée d'été.

Ces jardins vont avec le ciel, ils dessinent dedans. Ils sont une perspective de son éternel. Au contraire des jardins à l'anglaise, qui trouvent leur fin sur terre, contrefaisant la campagne du week-end, un romantisme de pacotille, à la Marie-Antoinette.

Les jardins à la française sont baroques, tentant un équilibre qui ne sera jamais l'égal de celui du cosmos. Le Nôtre était géomètre, et un mystique. Son art est celui de l'ordre et de l'humilité. Car ses jardins ne sont rien sans le ciel. Oui, ils sont une figure à deux bandes, s'appuyant contre Dieu ou l'illusion qui usurpe son nom, auxquels ils soumettent un essai de permanence, artificiel, hérissé de buissons à cônes, de parterres anguleux, et d'autres impossibles. 

France - Angleterre (des écrivains) : 2-1

Ce n'est pas mon pronostic pour la prochaine finale de la coupe du monde de football, mais le score du dernier match de l'équipe de France de football des écrivains. Première victoire internationale, premier but pour ma part (j'en ai presque la preuve, avec cette photo prise à l'instant de la frappe), dans l'incroyable stade du Red Star, à Saint-Ouen.

Il paraît que les Anglais nous attendent à Londres pour le match retour. Et pour nous battre. 

En attendant, voici le résumé du match, by Bertrand Guillot :

Suspense, figures de style et happy end - Première victoire internationale pour les écrivains français !

On craignait un temps anglais, il a fait grand beau sur le stade Bauer.
On craignait aussi le fighting spirit britannique... et on avait raison.
Car même privée d'un joueur majeur pour cause de passeport non valide (good luck after Brexit, guys), l'équipe anglaise, avec deux joueuses (respect) et deux renforts franco-britanniques, était bien décidée à défendre son but et à jouer les contres à fond.

La deuxième de ces contre-attaques fut fatale à l'arrière-garde bleue. On jouait depuis 25 minutes et l'Equipe de France, désordonnée dans ses assauts telle l'armée de Philippe VI à Crécy, était menée 1-0.
Révolte, orgueil, pressing ! Les Bleus lançaient alors leurs écrivains d'avant-garde. Julien Blanc-Gras grattait des ballons à l'entrée de la surface adverse, Frédéric GaI ajustait sa patte gauche depuis l'aile droite, Louis Dumoulin délivrait un centre millimétré pour Brice Christen dont la tête splendide heurtait la barre et rebondissait derrière la ligne sans que l'arbitre ne bronchât.
Mi-temps : France 0, Angleterre 1 !

La reprise fut rude sous une chaleur étouffante. Nos écrivains poussaient sans être dangereux, peinaient à jouer entre les lignes, les passes se faisaient molles et les mots plus durs (hommage à la 'Généalogie de l'insulte' d'Ollivier Pourriol?) et parfois peu galants. Le destin avait-il choisi son camp ? L'équipe de France allait-elle perdre ce match qui pourtant lui tendait les bras ? Non !
Car soudain, à la 78e minute, après un corner frappé par Yvan Gastaut, le ballon parvenait à Striker Brice à l'orée de la surface, qui décalait Baptiste Fillon monté aux avant-postes. ET la frappe fut sublime, et le gardien impuissant, et la lucarne nettoyée.

Car soudain, à la 78e minute, après un corner frappé par Yvan Gastaut, le ballon parvenait à Striker Brice à l’orée de la surface, qui décalait Baptiste Fillon monté aux avant-postes. ET la frappe fut sublime, et le gardien impuissant, et la lucarne nettoyée.

1-1, cris et soulagement, encouragements virils ! Nos écrivains se débarrassaient enfin de l'exigence du style et se lançaient à corps perdu dans la bataille.
Les Anglais, eux, tentaient désespérément de gagner du temps (sans doute parce qu'il était beau). Mais il était écrit que la partie devait basculer. Enfin sûrs de leur fait, les Bleus faisaient tourner la balle de gauche à droite, et la tête à l'Albion pourtant perfide. Le coach Jimmy Adjovi-Bocco adressait un caviar absolu dans le dos de la défense à Bertrand Guillot qui jetait ses dernières forces dans un ultime sprint. Chevauchée, centre en retrait, jaillissement de Brice Christen au premier poteau pour une balle magistralement piquée par-dessus le goal anglais. Hurlement de joie des joueurs et d'un public en transe !

Le coach Jimmy Adjovi-Boco adressait un caviar absolu dans le dos de la défense à Bertrand Guillot qui jetait ses dernières forces dans un ultime sprint. Chevauchée, centre en retrait, jaillissement de Brice Christen au premier poteau pour une balle magistralement piquée par-dessus le goal anglais.

2-1, le score était scellé. L'armada anglaise avait tout donné et comptait trop peu d'auteurs de fiction pour s'offrir un dernier rebondissement, d'autant que Brieux Férot veillait dans sa cage.
Il ne restait plus qu'à fêter ça dans une 3e mi-temps fourbue mais joyeuse, à refaire le match et à prévoir déjà un match retour, car disons-le : l'auteur anglais est accrocheur, l'auteur anglais est aussi râleur qu'un écrivain français, mais l'auteur anglais est vraiment sympa.
Tel Eric Cantona, nous franchirons donc un de ces jours le Channel pour une deuxième manche, sous la pluie et dans la bonne humeur.
Merci aux nombreux spectateurs, merci à Benoît et Jean-Max nos grands organisateurs, merci au Red Star et un grand merci à nos amis Anglais. Sorry, good game !!
A bientôt

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Elle s’allongea dans son canapé, puis écrivit, se désignant à la troisième personne :

Il faisait la vaisselle avec suffisance, goguenardise. Si elle avait eu l’un de ces calepins où elle avait pour habitude de coucher ses pensées, elle y aurait inscrit le mot « insolence ». Parce qu'il avait l'air de s'amuser. Les hommes étaient de grands enfants ayant mené l’humanité de chaos en chaos, jusqu’à l'actuel. Mais cela finissait. Après des millénaires de viol permanent, la volonté de puissance de la gent féminine l'emportait. Elle vivait les derniers craquements de l'ordre phallocrate occidental. 

L’odieux mâle sifflotait. Sa bouche et sa langue jouaient une chanson de mauvais goût, issue de la variétoche française des années 80 : « La danse des canards ».  

Elle abandonna son magazine, alluma la télévision.

Elle abandonna son carnet, suçotant son stylo, et se relut. Satisfaite, elle pensa atteler sa verve au démantèlement du jeunisme, mais n'en fit rien.

Elle se souvint d'un soir, où elle remontait le boulevard de Port-Royal, bordé de verts platanes, longeant un institut pour adolescents en détresse, et un hôpital militaire où les chefs d’Etat subissent des expériences de mort imminente. Le panneau électronique d’une pharmacie indiquait 26°c, et 21h01. Elle s'apprêtait à dépasser la rue Broca – l'ancienne rue de Lourcine- et jeta un œil dans les escaliers y menant. Cela sentait la pisse et une humidité de salpêtrière.

Elle s’arrêta, se souvenant que la rue Broca abritait jadis un asile où les putains finissaient des maladies que donne l’amour à quantité industrielle. Elle imagina ces dames dans leur corset, la touffeur de leurs dentelles, en balade triste, sur les larges trottoirs déserts, par les poussiéreux soirs d’été, hachurés de la lumière rouge du couchant. Et dans ses rêves, ces belles femmes malades toussaient à tour de rôle. Elles avaient été belles, et leurs petits chapeaux branlaient sur leur tête, au bout de leur long cou, mince comme un bras.

La décadence de celles qui avaient été de belles putes riantes aux cuisses fermes et grasses lui faisait serrer les poings.

De nouveau, elle crut entendre la triviale mélodie sifflée par le mâle en pleine vaisselle. Elle l’aimait, car il se pliait sans complications à ses montées de justice historique. Il savait payer pour les hommes du passé, et les salauds à venir. Il était un objet de justice, muni de gants roses en plastique. Et c'était beau.

Nicolas Gomez Davila

Est réactionnaire tout homme qui n’est pas disposé à acheter sa victoire à n’importe quel prix.

Quelle fête que la prose de ce vieil Indien bruni au soleil de l’Antiquité, qui taille des distiques comme on aiguise des flèches, au milieu de sa bibliothèque immense, dans une maison centenaire d’un vieux quartier de Bogota. Nicolas Gomez Davila fait un Borges laconique, pas baisant, moins enchanté de son savoir que le grand conteur aveugle. Cela tombe net, indubitable, comme une balle crevant un baudruche. 

Dans les époques aristocratiques, ce qui a de la valeur n’a pas de prix. Dans les époques démocratiques, ce qui n’a pas de prix n’a pas de valeur.

J'ai lu Le réactionnaire authentique de Gomez Davila ne même temps que la correspondance de Flaubert. Les deux bonhommes ont horreur de la faiblesse de masse, faisant pencher les têtes dans le sens du vent. L'un et l'autre sont les tenants d'un même inactuel, fait d'intelligence et d'honnêteté. Ils sont la figure de l'artiste idéal, attentif et distant, acerbe et mystique, anticonformiste parfois, libre toujours. 

Les deux ailes de l’intelligence sont l’érudition et l’amour.

Dans une époque élevant la cupidité en système, prônant la passion cynique du transitoire, l’exploitation commerciale de la bêtise, l'élévation de la tartuferie en métaphysique, la lecture de Gomez Davila est un plaisir piquant, où germent les délices d’une discipline aristocratique de l’esprit.

Vivre avec lucidité une vie silencieuse, discrète, parmi des livres intelligents, et aimé de quelques êtres chers.

L’intelligence et l'art sont désormais une lutte, davantage contre leurs faux-semblants et leurs imitations industrielles que leurs ennemis frontaux.  Il s'agit de ne pas s'enivrer d'impuissance, même s'il y aurait de quoi. A l'instar de Gomez Davila, il faudrait convertir sa résignation en enchantement. Certes, celui qui n’épuise pas sa vie à assouvir sa cupidité semble voué au mépris. Mais ceux qui s'adonnent à ce jeu ne l'ont pas choisi. On le leur a imposé. Les réactionnaires authentiques, au moins, sont les victimes consentantes d’une malédiction enchantée qu’ils se sont eux-mêmes lancée.  

Genève, capitale de la planète du dimanche soir

Le dimanche soir, les rues de Genève ressemblent au célèbre tableau d'Hopper. Elles le dupliquent. 

Mais sans clients ni lumière aux vitrines.

Des réclames callaissées, montrent des enfants riches, blancs, et fiers de l'être / Des officines de banque privée / Des avocats /Des experts comptables / Genève tient la santé des villes d'argent et de bienfaisance, saine, close, fermée, toute percluse d'espaces réservés, de cercles, de clubs.

Sur la place du Bourg-de-Four, auprès de la cathédrale, deux cafés restent ouverts pour trois couples de clients / Les installations de lumières artistiques ajoutent quelque chose de lugubre et de travaillé dans la ville éteinte tôt, debout dès six heures le lendemain /Les rives du lac sont un parc d'attraction ennuyeux, fermé pour ne pas avoir su amuser. 

Ici, personne ne s'ennuie. 

Première victoire pour l'équipe de France de foot des écrivains

Retour au Havre dans le cadre du Festival "Le goût des autres" avec l'équipe de France de foot des écrivains, pour affronter une sélection des anciens du HAC, mon club de coeur.

Après deux défaites contre l'équipe d'Allemagne, à Paris, puis à Francfort, nous avons remporté la première victoire de l'histoire de notre équipe, par 2-0. Doublé de Brice Christen. J'ai eu la chance de jouer en charnière centrale avec notre coach, Jimmy Adjovi-Bocco.

A bientôt pour de nouvelles aventures.

Et au milieu coule une rivière, Norman McLean

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Elle se rend au Père Lachaise, fouler la terre et les pavés – le ciel des génies d’autrefois. Elle trouvera un homme, songe-t-elle, qui gagne beaucoup d’argent. Sa vie fait une vague certitude, un plan business plan assez lâche pour s'assurer des vacances, de temps à autre.

Cet homme, elle l’aimera, le pouvoir d’achat étant une qualité humaine comme une autre. Elle le méprisera tout également, car elle méprise ce qui sert. Et l’argent sert à tout. Elle gravit les escaliers de l’entrée de la rue de la Réunion. Cela ressemble à une cage de pierre verdie. Les escaliers forment des couvercles branlants, troués.

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Muse vénale, se surnomme-t-elle.

Elle joue la déesse. Pour elle, un riche obscur devra gagner beaucoup d’argent, dans quelque métier veule. Emerveillée, soûlée de confort, elle connaîtra l’existence des belles âmes montrant la voie au genre humain.

Elle a lu Eugenio d’Ors, et a cru y comprendre que le baroque succède au classicisme dans un cycle éternel. Elle veut croire qu’il en va de même pour les êtres très libres que sont les hommes :  une génération de banquiers sécrète une génération d’artistes, de dilapidateurs, entraînant un come-back des banquiers, mais d’âme plus ample.

Elle se rengorge, se voyant belle dans la vitre noire du métro. Elle place la main devant sa bouche pour étouffer un rot au goût de savon. Elle ouvre son Elle. Les dernières tendances sont à l’authenticité. Autour, la foule insensible la dégoûte. La touffeur du sous-sol rend les gens puants.

Les hommes sont sales, au fond… en vrai…

Elle songe à Socrate. Le plus sage des hommes connus a été soldat, et il a tué.

Elle descend à Nation, s’apprête à traverser le boulevard Voltaire. Dans le silence des habitacles, aux passages protégés, elle a été souvent insultée, voulue, enviée. Parfois aussi, les hommes ont voulu sortir, et lui faire l’amour, la violer. Pour une gorge découverte, un pantalon serré, une jupe courte ou juste un sourire.  

Avec l'équipe de France des écrivains, à Francfort

Défaite 5-2, avec les honneurs, lors de notre match retour contre les écrivains allemands. Il y avait les hymnes, les équipements officiels. Cela n'a pas suffi à nous faire gagner. mais un groupe est né.  

Merci à la Fédération allemande de football, à l'Institut Goethe de Paris et à l'Association des Ecrivains Sportifs pour l'organisation de cet événement. 

L'histoire de l'équipe de France des écrivains se poursuit le 20 janvier prochain, à 15 heures, au stade Jules Deschaseaux, contre mes anciennes idoles du HAC, dans le cadre du Festival "Le goût des autres". Retour au bercail ! 

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Si je t'oublie Jérusalem, William Faulkner

Aucun n'écrit comme lui, ce brouillon virtuose, une finesse aussi incarnée, physiologique. C'est la vie et ses scènes comme on l'habite depuis derrière son propre crâne.

Ce livre tressé se pare des échos d'un esprit obsédé par la malédiction nécessaire de la fécondité, et le désir exclusif, sublime et bovin de reproduction. Nous sommes sales, répugnants, stupides, et sacrés.

Le remake de la course Marathon-Athènes, dans Running Heroes Society

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Les feuilles de marronniers mettaient un continent vert dans le ciel.

Sur une chaise du Luxembourg, elle se prenait à l’exégèse du monde. Les victoires amères sont les plus poignantes, pensait-elle. Imaginant cela, elle songeait au suicide. Si elle n’avait craint la mort, elle aurait aimé cette idée de la fin accordée à soi-même : liberté, la plus belle victoire de l’infinie volonté sur le corps. Elle ne craignait pas tant la douleur que la disparition de son être, la fin de ses perceptions, et l’effacement de l’empreinte de son esprit sur le monde.

La peur rendait cette éventualité plus séduisante à ses yeux. Elle était de ces enfants du confort, aux perceptions émoussées, qui ne s’excitent qu’aux vulgarités les plus insanes, aux images des plus cruelles tortures. Les enfants du XXIème siècle étaient des saints, pénibles à dégoûter.

Au fond, les victoires sont amères, et sont autant de défaites retournées comme des peaux séchées au soleil, songeait-elle. 

Un monde idéal n’aurait connu ni victoires ni défaites. Elle rêvait que la vie fût une longue chose lasse, une charogne éternelle.

Elle leva la main,  parla seule :

- "Au fond, quels ont été mes plaisirs ? Humer des fleurs, respirer des odeurs de viande grillée dans l’air épais du soir, sentir les frôlements de la mer froide un après-midi de canicule, aimer un parfum de tomate cuite et de figue broyée, un soir en Catalogne ?"

- "Il y avait aussi la sensation de perdition dans une ville immense, au bout du monde. Sur une plage de galets noircis par l’orage, j’aimais à me baigner dans la mer sous une averse de gouttes grosses comme des poings, fuir les ondées en plongeant sous des vagues hautes comme des murs."

- "J’avais aimé aussi les caprices, les bouderies injustes, quoique plus modérément, mais sans lassitude. Des friandises de riche, de belle."

Elle se lova dans sa chaise en soupirant. L’idéal de sa vie eût été qu'on l’attende, une espérance soutenue, concentrée, consciencieuse, et toute entièrement pour elle. Autre chose que l’amour, moins passionné, moins servile, plus constant.

Autour d’elle, des enfants riaient en courant derrière un ballon. Négligemment, elle ouvrit un sac de toile, dont elle sortit Les Nuits attiques. Elle posa l'ouvrage sur ses cuisses. Elle aimait le style à faire de ce bouquin de l’Antiquité mourante.

Jusqu’à il y a peu, elle croyait les gens du passé –les morts- incapables de sagacité. Ces idées neuves si vieilles la remuaient, la touchaient à plein, comme des coups de feu. Elle se trouvait ridicule de cet émoi, une fois pour toute déniaisée de sa suffisance à l’égard des morts, les suceurs de poussière.

Elle ouvrit sa vieille édition bilingue français-latin, volée dans les rayons de l’éternelle Sorbonne, aux pages jaunes, cireuses, pelotées par les mains grasses et lisses d’étudiant désinvoltes et résignés déjà. Car les livres ne servent à rien.

Dans son confort, jambes dorées, étendues sur la chaise mise devant, elle eut envie de croire qu’exister n’en valait pas la peine. Et puis elle songea aux fléaux de l’Afrique et se redressa sur ses coudes. Elle pensait trop, pensait-elle. Elle pourrissait des inspirations de la mauvaise conscience. Et sa mauvaise conscience lui faisait office d'esprit, et de conscience enfin. Elle se trouvait incommodée de la soupe des bons sentiments, pleins, increvables et ronds, que l’on ne questionne pas.

Qu’elle se le concède ou non, ces élans d’âmes aussi las que des réconciliations forcées, la tentaient comme d’interdites friandises.

Écrire sans couture

Je me suis fait cette injonction en lisant L'idiot. 

Quand j'écris, je tâche de faire disparaître les fils et les coutures, créer l'illusion d'une pièce qui serait d'un tenant, une seule peau, un tissu conjonctif

Certains, comme Balzac, n'en ont cure. Il est donc de bon ton de dire qu'il écrit mal, ce qui est faux, à mon sens. Dostoïevski pousse la pratique plus loin. 

Elisabeth Prokofievna devenait d’année en année plus capricieuse et plus prompte à s’impatienter, disons même : plus fantasque. Mais il lui restait un dérivatif salutaire en la personne de son mari qui, habitué à filer doux, voyait ordinairement retomber sur sa tpete le trop-plein de la mauvaise humeur accumulée; après quoi l’harmonie renaissait dans le ménage et tout allait pour le mieux.
— L'Idiot

Et cela fait son style, sa respiration. Les sutures doivent apparaître, prêtes à craquer, sous la frénésie que portent ses personnages , celle de la société qu'ils échauffent et malmènent. Ceux qui dissimulent le moins étant les héros, renonçant à l'illusion de la bienséance et du respect, par déraison ou excès de logique brute : un jeune homme pauvre et brillant se met en tête de tuer une vieille acariâtre cruelle et riche. Ce qui s'appelle la justice, dans le sens le plus intransigeant du terme. Et c'est Crime et Châtiment

Ses romans, c'est Frankenstein, dont les fils suintent encore, et qui ne se meut jamais sans souffrir. La vie, bande de chair à vif, tendue sur l'abîme. Et ce chant laborieux sonne, même s'il grince, craque, et que ses grossières écorchures frottent, créant le fleurissement d'infections inédites.