Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

Le dernier livre de Sebald

On pourrait employer des vies à s’expliquer la moindre seconde. Une bibliothèque entière n’épuise pas un millionième d’instant. Joyce et d’autres s’y sont essayés, en vain à mon sens, prouvant qu’il s’accomplit de grandes et belles choses sur la base de magnifiques défaites.

Dans Austerlitz, dernier ouvrage publié avant sa mort, Sebald forme le rêve d’épuiser le réel, forger la concrétion d’un sens à partir de sa réduction, comme les alchimistes vitrifiaient les métaux. Il travaille à partir de digressions, en quête de signes perdus dans l’histoire, la configuration oubliée de villes- Paris, Prague, Londres- ou la disposition de lieux d’une laideur utilitaire, logistique - la gare londonienne de Liverpool street, ou celle d'Anvers.  

Les mondes de Sebald ont la pénétrante réalité du songe, exprimant les révélations mystiques inscrites dans la langue figée des constructions humaines. Il épaissit le mystère du monde en cherchant à tarir l’étrangeté de vivre. La décortication mène au décryptage d’un vaste Tout, aux correspondances infinies et signifiantes, comme une fouille minutieuse de la métaphysique. Cela rappelle la quête des correspondances entre le monde du commun et celui d’au-delà le monde, à laquelle s’adonnent Baudelaire, Rimbaud, ou Mallarmé.  Porté par un style languide, d'une ample minutie, Austerlitz s'efforce d'organiser le chaos de son passé, éclaté avec la Seconde Guerre Mondiale. Il tente de déchiffrer le dessein d’un Dieu devenu Dieu malgré lui, se foutant des hommes, sécrétant des êtres perdus, errants à la poursuite de signes indiquant leur raison d’être. 

L'étrange filiation des coïncidences m'a rattrapé, à Londres, l’été dernier, comme je traversais Whitechapel, puis Bricklane et Shoreditch, avec ma femme et mon fils. En fin de journée, cherchant le métro le plus proche, nous avons obliqué dans une petite rue, sur notre droite, qui nous a menés à la gare de Liverpool street, que Sebald décrit dans Austerlitz… hasard, providence, ou destin.