Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

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Le déclin du courage, Alexandre Soljenitsyne

Exilé aux Etats-Unis, Soljenitsyne s’exprime à Harvard, en 1978, au temps d'une Guerre froide languissante. Son allocution est consignée dans un petit livre, Le déclin du courage. Il y épand son écoeurement du socialisme soviétique comme du capitalisme américain, les deux faces proéminentes de l’époque, alternatives qui ne suffisent pas.  

Non, je ne peux pas recommander votre société comme idéal pour transformation de la nôtre. (…) Nous avions placé trop d’espoirs dans les transformations politico-sociales, et il se révèle qu’on nous enlève ce que nous avons de plus précieux : notre vie intérieure. À l’Est, c’est la foire du Parti qui la foule aux pieds, à l’Ouest la foire du Commerce : ce qui est effrayant, ce n’est même pas le fait du monde éclaté, c’est que les principaux morceaux en soient atteints d’une maladie analogue.

Crédits : Sipa

Capitalisme et socialisme procèdent du même avilissement de l’âme humaine, la dissolution de la vie dans les moyens de l’existence, et la mesquinerie afférente. Incapables d’ampleur, les hommes ne se contiennent que par le droit, unique garde-fou contre la guerre de tous contre tous, avec le seul espoir de perpétuer leur confort, assurer le bon approvisionnement en chipolatas du barbecue  dominical.  

L’autolimitation librement consentie est une chose qu’on ne voit presque jamais : tout le monde pratique l’auto-expansion, jusqu’à ce que les cadres juridiques commencent à émettre de petits craquements

Rien de grand, nulle métaphysique dans la civilisation suiviste, l’ordre du moindre mal, invertébré, ne sachant que faire face aux menaces, amputé de son courage, par la crainte de la douleur.

Si l’homme, comme le déclare l’humanisme, n’était né que pour le bonheur, il ne serait pas né non plus pour la mort. Mais corporellement voué à la mort, sa tâche sur cette Terre n’en devient que plus spirituelle : non pas un gorgement de quotidienneté, non pas la recherche des meilleurs moyens d’acquisition, puis de joyeuses dépenses des biens matériels, mais l’accomplissement d’un dur et permanent devoir, en sorte que tout le chemin de notre vie devienne l’expérience d’une élévation avant tout spirituelle : quitter cette vie en créatures plus hautes que nous n’y étions entrés. Inéluctablement, nous sommes amenés à revoir l’échelle des valeurs qui sont répandues parmi les hommes et à nous étonner de tout ce que celle-ci comporte aujourd’hui d’erroné

Ce règne de l’angoisse et de la lâcheté en réseaux est dominé par un assistanat technocratique, bien-pensant, paternaliste et gnangnan qui hait l’altitude, l’original, l’unique. Un instrument de domination assumé, une servitude volontaire, qui s'infuse dans tout le corps social.  

Crédits : Effigie/Leemage

Ce déclin du courage est particulièrement sensible dans la couche dirigeante et dans la couche intellectuelle dominante, d’où l’impression que le courage a déserté la société toute entière. Bien sûr, il y a encore beaucoup de courage individuel mais ce ne sont pas ces gens-là qui donnent sa direction à la vie de la société. Les fonctionnaires politiques et intellectuels manifestent ce déclin, cette faiblesse, cette irrésolution dans leurs actes, leurs discours et plus encore, dans les considérations théoriques qu’ils fournissent complaisamment pour prouver que cette manière d’agir, qui fonde la politique d’un Etat sur la lâcheté et la servilité, est pragmatique, rationnelle et justifiée, à quelque hauteur intellectuelle et même morale qu’on se place. Flétrissement de la civilisation, qui affecte tous les régimes politiques. Il s’agit de permettre à l’homme de concevoir la possibilité de s’élever.

Le courage, en tant que posture, déserte le corps social. Il n’est qu’affaire de réaction individuelle, spontanée, ponctuelle, souvent récupéré par les plus opportunistes. Que faire, sinon attendre la fin de la nuit, l'agiter de temps à autre, quand la force ne manque pas, en s’efforçant de la traverser sans trébucher, sans que l’on vous fasse trébucher ?