Corse_2/2
A l’intérieur de l'île, on a caché les villages, parmi le plafond vert et grave de châtaigniers noueux, garnis de bogues jaunes, les forêts de conifères rectilignes, là où, il y a encore soixante ans, on ne réservait le superflu qu’aux maisons de Dieu, avec leurs campaniles bouclés de rubans baroques.
C’est le pays des rivières glacées, qui s’écoulent dans une paix fraîche, entre des amas de pierre consolidés par la mousse.
Corte ressemble à la capitale d’un petit Etat montagnard, dressée à la confluence de rivières. On n’étouffe pas, comme sur la côte. La vieille ville consiste en petites bâtisses lépreuses, marquées par la mitraille des Génois. Les habitants croisent sans vous voir, se rendent sur leur jardinet en restanque, où gonflent courgettes, tomates et citrouilles.
Chaque vallée forme un pays, avec ses siroccos, ses tramontanes ; on passe de l’Irlande à la Castille en franchissant une crête, des châtaigniers aux chênes verts, puis apparaît le couvent d’Orezza, repris par la forêt. Un virage serré abrite le filet d’une source, creusant depuis des millénaires ce repli. Les sommets gaulent les nuages gris et noirs, saupoudrant une bruine qui s’évapore au premier soleil.
La Corse réveille la sensation inédite d’une beauté mélancolique et douloureuse. Un regret sordide qui rend fier. Elle est belle comme une femme craignant les appétits des soudards, lors d’une guerre maudite.
Bastia semble construite le long d’un embarcadère. La ville se répand dans la Méditerranée, qui la peuple du fantôme de Marseille, Toulon, Nice, Gênes et Livourne. Port d’étape, habité par un peuple d’errants, perdus sur les places, les rues à demie ombragées, qui parcourraient la mer, si jamais on pouvait marcher sur l’eau salée.
Chaque ville est une configuration particulière de l’éternité, dit-on.