Baptiste Fillon

(rien à voir avec François)

Le site de Baptiste Fillon, auteur du roman Après l'équateur, publié chez Gallimard, dans la collection Blanche.

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Les victimes du 13 novembre et leur famille méritent nos excuses

Les résultats du premier tour des élections régionales sont l'événement de trop.

Suite à l'horreur du 13 novembre, les hommages furent vibrants.

A défaut de réponses à nos questions, nous fûmes écrasés sous les innombrables analyses, très souvent d’une indigence confondante, une terrifiante nullité morale, et une incapacité générale à la compassion (ne se limitant pas aux fleurs, bougies et câlins gratuits).

Nous étions au bord de la guerre mondiale, paraît-il, puis les journaux télévisés ont recommencé à nous servir Miss France

Nous voilà rassurés. Le pays était retombé sur ses pieds.

Un nouveau signe, s’il en était besoin, de notre pauvreté d'âme, de notre peur du deuil, et de la tristesse. Et je n'évoque pas seulement le saccage du mémorial de la place de la République. Signe évident de notre amnésie. 

Le lendemain des attentats, alors que les corps se trouvaient encore empilés au Bataclan, d’aucuns se répandaient déjà en analyses géopolitiques, sur les soi-disants causes profondes de la tuerie. Comme si les abrutis à bombes et kalachnikovs avaient entendu quelque chose à la situation au Moyen-Orient ou en Afrique. On faisait partager son sentiment sur le monde arabe, le Moyen-Orient, la crainte de récupération politique, quand on ne s’improvisait pas théologiens. Sans compter la compassion "tartufesque" de grands groupes refusant de payer leurs impôts en France, les imbéciles complotistes, antisémites, anti-musulmans, et les charognards de l’autopromotion, toujours bien attentionnés.

Une énième confirmation que les intellectuels de jadis ont laissé place à une myriade d’intelligents, dont le but est de parler plus fort que leurs pareils. De là ce défilé de finasseries satisfaites et de snobismes morbides, sous-entendant que les morts parisiens ne valaient pas les milliers de victimes syriennes, palestiniennes, et nigérianes, tombées depuis des mois, des années. Fort à parier que si ces gens avaient été syriens, palestiniens, ou nigérians, ils auraient interdit à une mère ayant perdu son fils dans une attaque terroriste de se lamenter, car la situation était bien pire en France, ce vendredi 13-là.

J’eus honte pour eux, comme pour les empêtrés dans la polémique du drapeau tricolore. Dont beaucoup ignoraient que le bleu et le rouge référent à Paris, et le blanc au souvenir de l’ancien régime ; ils oubliaient également que des gens, bien loin de l’extrême-droite, avaient péri pour ses couleurs.

Ce fut la curée à la sottise. Et quand on se réveilla, éreintés de tant d’inepties, on se répandit sur les terroristes, afin de comprendre leur nullité, et de s’en repaître. Ce fut nier qu’il y avait peu à comprendre de ces idiots qui ignoraient tout ce qui n’était pas eux, le contentement de leurs appétits médiocres, drogue, miteuses sorties en boîte de nuit, fornication avec des ersatz de bimbos de téléréalité à l’âme d’assistante sociale, et trafics de bas-étage. Ils périrent comme des nullités en quête de célébrité, confits dans le fantasme puéril de toute-puissance infantile, et la frustration des lâches. Il s’agissait de criminels sans envergure, pareils à ces clochards collaborateurs qui envoyèrent les résistants au four pour une plaquette de chocolat, lors de la Seconde Guerre Mondiale.

On décida aussi de se payer les politiques. Il faut dire qu’ils le méritaient : leur attitude inepte à l’Assemblée, les dysfonctionnements ayant mené aux massacres du 13 novembre, et leur politique internationale d’un cynisme coupable. Il est bien connu que lorsque l’élite d’un pays n’a guère d’idées pour le redresser, elle ne sait se tourner que vers l’argent, même s’il s’agit de celui de régimes qui flagellent les blogueurs, réduisent les femmes à la minorité perpétuelle, et dont certains ressortissants ont, semble-t-il, financé le terrorisme. 

Le procès des politiques est à faire, mais je crois qu’il aurait fallu attendre que le sang coagule. Par respect, pour les victimes, leur famille, et notre propre peur.

D’autres ont lancé des injonctions à s’étourdir de nouveau, dans les bars, les salles de concert et les boîtes de nuit de la capitale. Comme si hurler et se soûler faisait office de combat et de résistance.

Suite à l’assaut de Saint-Denis et la révélation de la menace pesant sur la Défense, refit surface un fatalisme sidérant, déjà présent quelques semaines avant les attentats du 13 novembre, et tout autre que les analyses de professionnels qui connaissaient suffisamment la situation pour nous mettre en garde. Un fatalisme risible, inconsistant, faisant que certains en venaient à souhaiter que « cela arrive une nouvelle fois et que l’on n’en parle plus ».  Comme si ce défaitisme immature pouvait garantir de la mort, dissuader les assassins, et oblitérer les insuffisances de nos autorités, qui restituent des papiers d’identité à un voyou comptant se rendre en Syrie.  

J’écris, car je ne saurais me contenter de l’indigence intellectuelle et affective dont nous faisons preuve, oscillant entre exaltation et abattement, dignes des pires enfants rois, dans l'espoir que des égorgeurs aient pitié de nos craintes, et qu'un imposture politique comme le FN vole à notre secours. On lutte contre ces gens par l’intelligence, le courage d’avancer des idées étayées, universelles, inactuelles, sans crainte de prendre à parti l'impuissance criante de notre système éducatif, l'aveuglement des politiciens, nos illusions économiques et sociales, notre lâcheté, notre amour de la bêtise, les pratiques qui méprisent la femme, confinent à la lecture littérale des textes religieux, relaient des stupidités moyenâgeuses véhiculées par des prêcheurs de haine, et confortent dans un racisme doléant, dont les bornes sont la condescendance bien-pensante de gauche et l’exclusion autoritaire de droite (j’évoque des traditions politiques, non des partis).

A défaut de clairvoyance et de courage, nous avons fait preuve d’une insondable cruauté, ainsi que d’une terrible indigence humaine et intellectuelle. Une médiocrité égale, sans doute, à celle qui nous bouche les yeux sur la montée de la haine pour les valeurs de la France, en son propre sein, et à celle dont font commerce ceux qui fourguent simplismes sacrés, bouc-émissaires et bêtise intellectualisée à qui veut l'entendre. Avec un succès dont témoignent, entre autres, le nombre effarant de candidats au voyage en Syrie et le score du Front National en ce soir de premier tour des élections régionales.

Au nom de cela, les victimes et leur famille méritent les excuses de notre pays. 

 

Cher Charlie, fais-moi un dessin

Cher Charlie,

Fais-moi un dessin. Et fais-moi rire.

Parce que j'ai peur qu'ils réussissent, les aveugles, les sourds, les fous et les barbares.  

Populistes, nationalistes ou fanatiques religieux, ils appartiennent au même camp, même s'ils se détestent. Faisant tout paraître simple, sérieux, et grave, leur but est la guerre. Une fois la mort semée, ils se tueront. Car ils haïssent la vie.  

Ils sont le tribu que nous payons au culte de la bêtise, l'infantilisation, la laideur, obéissant à une logique de mollusque qui nie l'intelligence et l'humour.

Notre époque policée secrète une barbarie ultra-moderne, née au sein de la logique de satisfaction immédiate, la cupidité, la soif de célébrité, la quête de sens, le mépris du savoir, de l'inconnu, et de la finesse.  

Le plus grand nombre à souscrit à ce déclin de la qualité humaine, et à la nullité. 

Et notre cadavre écervelé pilote une machine qui avance et calcule toujours plus vite, sans savoir à quelle fin. Nous ne valons pas la technologie et l'écrasante quantité de divertissement que nous nous offrons. 

Ultra-moderne, notre époque l'est assurément, alimentant les fantasmes et l'imbécilité avec une facilité jamais vue dans l'histoire. Une recherche Google suffit à s'en convaincre. 

Perdu dans l'hypermarché du sens et du divertissement, on trouve toujours une cause à laquelle appliquer sa haine, son malaise, sa stupidité.  

Avec la connerie institutionnalisée, la peur, le désespoir, ce grand bordel facilite la tâche des preneurs d'âmes, qu'ils soient munis d'une casquette religieuse ou politique.  

Ce 7 janvier, nous avons vécu le nouvel acte de construction d'un monde d'architectes cruels, sans but, aveugles, sourds et fous. Notre résignation et les gestionnaires leur ont abandonné la place. 

Cher Charlie, fais-moi un dessin. Et fais-moi rire. Même tristement. 

Aujourd'hui, c'est la meilleure façon de lutter.